Comment suggérer un livre? Conférence de Jérémy Laniel

La conférence « Suggestion de lecture » a été donnée par Jérémy Laniel, libraire chez Carcajou, et membre du jury du Prix des libraires 2015, dans le cadre du « Forum des bibliothèques », événement annuel qui rassemble les employés de front des bibliothèques lavaloises.

Dans la luminosité tamisée de l’amphithéâtre, dandinant sur nos petits sièges au coussin rouge, nous étions une cinquantaine à écouter la vitesse et l’enthousiasme de Jérémy Laniel, qui parlait sans autre aide-mémoire qu’un maigre powerpoint; lors de la soirée de remise du prix des Libraires, il nous a avoué qu’il voyait comme une qualité cet usage libre et mnémonique de la parole.

Jérémy Laniel a d’abord introduit la notion de « chaîne de confort ». Il s’agit d’une liste de livres ou d’auteurs qui ont une même résonnance thématique, ceci expliquant la chaîne, et dans laquelle le lecteur potentiel demeure enfermé, cela résumant le confort. Et comme la conférence s’adressait aux bibliothécaires lavalois et à leur public cible, il a exemplifié deux chaînes de confort, celle des sagas familiales historiques (Michel David, Jean-Pierre Charland, André Mathieu, Louise Tremblay d’Essiambre…) et celle des romans romantico-érotique (Danielle Steel, Nicolas Sparks, E.L. James…).

Grâce à cette chaîne de lecture qui permet d’identifier rapidement à quel type de lecteur potentiel les bibliothécaires ont affaire, Jérémy Laniel propose une méthode pour une bonne « prescription littéraire » : renforcer le lien de confiance avec les lecteurs en suggérant des livres suivant la lignée de la chaîne de confort; il s’en suit que le lecteur ou la lectrice retournera consulter le bibliothécaire, pour de nouvelles suggestions. À partir de là, le véritable travail de « passeur littéraire » commence : l’objectif est d’ouvrir les horizons du lecteur, de déraciner des branches d’intérêt insoupçonnées.

Pour ce faire il suffit de cerner des éléments communs à une chaîne de confort (mais ce travail a en partie été accompli au moment de l’identification de la chaîne) et de retrouver ces mêmes aspects dans d’autres oeuvres. Si mon lecteur ou ma lectrice aime Michel David et André Mathieu, je peux lui recommander une saga familiale à l’image La Fiancée américaine d’Éric Dupont, mais déjà, nous sommes ailleurs dans l’espace littéraire. Si le goût « pour la surenchère, pour les digressions farfelues, pour les récits dans le récit », comme disait Le Devoir (1) à propos du livre de Dupont, séduit le lecteur ou la lectrice, alors un nouveau pan de la littérature vient faire signe; le confort de chaîne se renouvelle, s’affaiblit, toujours présente, mais écartelée, déchirée, et le bibliothécaire, comme un escaladeur épuisé se repose enfin au sommet de la montagne, peut se dire en lui-même : « j’ai accompli mon rôle de passeur littéraire; j’ai créé une lectrice ou un lecteur ». Déjà, celui-ci reprend ses esprits et contemple le prochain sommet.

Et parlant de prochains sommets, de projets futurs, comment former à la lecture les jeunes et les adolescents? Jérémy Laniel, en effet, n’a pas fourni d’outils pour les suggestions jeunesses, et c’est là le seul défaut de la conférence, que j’attribue d’ailleurs à la limite temporelle. Comment suggérer aux jeunes des livres, près ou non, de leur chaîne de confort si nous sommes incapables, par ignorance de cette production littéraire, d’en cerner les contours, les variantes et les déviations potentielles? Comment sortir du cercle vicieux de la prescription littéraire basée sur la popularité? « Monsieur! Monsieur! Est-ce que c’est bon ça? – Ça? Géronimo Stilton? – Oui, monsieur! – Eh bien, oui! C’est beaucoup lu par les jeunes de ton âge ». Une telle situation tourne rapidement à vide, autant pour le lecteur que pour le bibliothécaire.

Néanmoins, Jérémy Laniel nous fournit les mots clefs pour une excellente prescription littéraire : identifier la chaîne de confort, établir une relation enrichissante avec le lecteur, présenter des variantes et des dérives aux chaînes de confort. À ceci, on peut aussi rajouter les quelques outils indispensables à  une bonne présentation des oeuvres (qu’un bibliothécaire n’a peut-être pas lues!), comme les différentes espaces critiques dans les revues et journaux culturels, et sur lesquels je reviendrai sans aucun doute dans un autre article.


(1) Danielle Laurin, L’explosion Éric Dupont.
http://www.ledevoir.com/culture/livres/361290/l-explosion-eric-dupont

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